Présentation qui sera donnée par Patricia Vohl au 32e colloque annuel de l’ADMÉE-Europe, janvier 2020, Casablanca.
Les mathématiques constituent l’un des fondements de notre
société hautement technologique. En effet, elles y sont omniprésentes : tantôt sous la forme d’habiletés
de base, utilisées au cœur du quotidien et de manière universelle, tantôt sous
la forme d’outils plus sophistiqués, nichés dans diverses applications en
sciences pures et appliquées, en sciences de la santé, en sciences humaines et
sociales, en sciences économiques, en finances, etc. Dans ce contexte, bien performer en mathématiques constitue un atout de taille; de
grands enjeux académiques, professionnels et personnels y sont rattachés.
Académiquement, des études longitudinales
montrent que les chances d’obtenir un diplôme d’études secondaire, de réussir
la transition vers les études supérieures, puis de diplômer au post-secondaire
sont directement liées aux performances en mathématiques au secondaire (Murnane,
Willett et Levy, 1995; Parsons et Bynner, 2005; Ma, 1999; Chiu et Klassen,
2010; OCDE, 2014a, Stroke, 2015). De même, comme il
est encore d’usage d’utiliser
les notes en mathématiques comme critère d’admission dans divers programmes de
formation de niveaux secondaire ou post-secondaire, la diversité des options qui
s’offrent aux jeunes dépend des résultats obtenus dans ce domaine. De faibles
performances en mathématiques limitent l’accès des individus à certains
programmes de formation, et en conséquence, à certaines professions.
Une
fois sur le marché du travail, des tendances tout aussi similaires s’observent.
Les résultats en mathématiques conservent, même à ce niveau, un certain pouvoir
prédictif. À cet effet, des études
montrent que les résultats en mathématiques au secondaire et au post-secondaire
permettent de prédire le niveau d’employabilité des individus ainsi que leurs
revenus professionnels éventuels (Murnane, Willett et Levy, 1995;
Parsons et Bynner, 2005; Ma, 1999). De
piètres performances en mathématiques limitent l’accès des individus à des emplois
plus avantageux et plus rémunérateurs (OCDE, 2014a).
Au-delà
de ces enjeux de nature académique et professionnelle s’ajoute un certain
nombre d’enjeux personnels, tout aussi important. À titre d’exemple, des études
montrent que les performances en mathématiques sont liées à la capacité qu’ont
les individus à faire des choix de vie éclairés, ce qui permet de prédire des
facteurs tels la qualité de vie ou même la longévité de ces individus (p.ex.
Geary, 1996; Reyna et Brainerd, 2007; Rivera-Batiz, 1992). De surcroît, l’Évaluation de
l’OCDE sur les compétences des adultes (OCDE, 2013) montre que les individus
plus performants en mathématiques sont davantage susceptibles de se percevoir
comme des « acteurs plutôt que comme des objets des processus
politiques » (OCDE, 2014a, p.268), ce qui les rend davantage susceptibles
d’agir dans leur milieu de vie.
D’un point de vue collectif, c’est l’ensemble de la société qui bénéficie des retombées individuelles
positives liées aux bonnes performances en mathématiques. En effet, comme les
bonnes performances dans ce domaine permettent aux individus de participer
activement à la vie de leur société, plus les
performances en mathématiques sont élevées dans une nation, plus la
productivité de cette nation est élevée et plus elle croît économiquement (Geary,
1996; Moses & Cobb, 2001; Peterson,
Woessmann, Hanushek, & Lastra-Anadon, 2011).
À tout cela s’ajoutent deux enjeux spécifiques
au secteur des professions liées aux mathématiques, les professions regroupées
sous l’acronyme STGM pour sciences, technologies, génie et mathématiques. Le
premier de ces enjeux concerne la pénurie de main d’œuvre qualifiée dans ces
professions, depuis le début des années 2000, dans plusieurs pays et nations dont
le Québec, le
Canada (Pronovost et al., 2017) et les États-Unis (Beilock et Maloney, 2015). Le second enjeu, tout à fait
connexe au premier, a trait à la sous-représentation des femmes dans ces
professions (Stoet et al., 2016; Statistiques Canada, 2007) et ce, même dans
les pays les plus développés et les plus sensibles à l’égalité des chances
entre les sexes (Stoet et al., 2016). Ce second phénomène accentue le premier,
certes, mais de surcroît, entretient les inégalités hommes-femmes sur le marché
du travail (OCDE, 2014a). Une des solutions envisagées pour contrer ces deux
phénomènes consister à tenter de maximiser les performances en
mathématiques des apprenants. En effet, il est
montré que les performances en mathématiques sont liées, tant chez les
garçons que les filles, à la probabilité d’opter pour un programme de
formation STGM et donc, à une carrière dans ce domaine.
Comme nous le verrons d’entrée de jeu dans le cadre de
cette présentation, le Québec fait bonne figure en termes de performances en
mathématiques. En effet, les résultats de deux enquêtes à grande échelle,
l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) et
l’enquête TIMSS (Trends in Mathematics
and Sciences Study) montrent que les élèves québécois se classent, en
moyenne, parmi les meilleurs internationalement. Cependant, des analyses plus
approfondies font état de situations préoccupantes. En autres, on peut y déceler
des écarts importants entre les garçons et les filles, à l’avantage des garçons.
Ces constats s’avèrent fort déplorables dans le contexte des enjeux individuels
et sociétaux évoqués ci-haut.
C’est dans cette optique que nous nous tournerons vers un
phénomène connu depuis plus de 50 ans et mis en cause par plusieurs auteurs pour
expliquer les faibles performances en mathématiques ainsi que les écarts entre
les garçons et les filles: l’anxiété mathématique (p.ex. OCDE, 2014b; Hembree,
1990; Chipman, Krantz et Silver, 1992; Ashcraft
et Ridley, 2005 ; Beasley,Long et Natali, 2001 ; Ho et al., 2000; Scarpello,
2005; Ashcraft et Kirk, 2001;
Foley et al., 2017; Ramirez, Gunderson, Levine et Beilock, 2013). Nous
explorerons divers aspects de l’anxiété mathématique, à savoir les principales
définitions, les causes possibles, les liens avec diverses caractéristiques
motivationnelles de l’apprenant (p.ex. sentiment de compétence, sentiment
d’efficacité personnelle, intérêt), les liens avec les performances en
mathématiques et enfin, les liens avec l’évitement des mathématiques.
Nous proposerons ensuite un modèle théorique qui a
l’avantage d’intégrer l’ensemble des aspects explorés. Nous terminerons avec la
présentation d’une méthodologie qui devrait être mise en place en 2020 afin
d’étudier la manière dont l’anxiété mathématique viendrait interférer avec les
performances en mathématiques des élèves québécois, tout cela dans le but de
mieux comprendre la source des écarts entre les garçons et les filles au
Québec.
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